« Amabo, o mea mater luna cum me ... Amabo, o mea mater luna cum me ... Amabo, o mea mater luna cum me ... Amabo, o mea mater luna cum me ... »
Une petite fille répétait sans fin les mêmes mots. Inlassablement. Elle était assise sur ses fesses au pied de son lit, les mains jointes, les yeux fermés et le visage tourné vers la fenêtre. Dehors, il faisait nuit. Seule brillait la lune, tout là haut dans le ciel. Pas un bruit ne se faisait entendre. L’enfant ne devait pas avoir plus de sept ans. Ses cheveux roux lui cachaient presque le visage, et pourtant on devinait une étrange maturité sur ce visage. Soudain, on toqua a la porte, et sans attendre une quelconque réponse, « il » entra. Lui avait sept ans de plus qu’elle : il en avait 14. Autant dire un monde de différence. Mais Tristan était un grand frère exemplaire.
- Hé, sœurette ? J’ai vu la lumière sous ta porte. Il est pas l’heure de dormir ?
Les parents travaillaient. Pour un salaire de misère, boulot de nuit harassant. Les deux enfants devaient se débrouiller. Seuls. Ensemble.
- Si on faisait un p’tit tour ?
Les yeux de Micha s’ouvrirent. S’illuminèrent. Elle regarda la lune, puis son frère. Et sauta sur ses pieds.
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Famille Armany. Espagne, 1er Avril.
Approchons-nous… tu vois ? Approche de ce super building, à côté de la rue principale. Appart’ de luxe, tout respire le luxe et la propreté. C’est limite s’il n’y a pas le tapis rouge. Approche toi encore… puis regarde à ta gauche. Eh oui. Tu vois cet autre immeuble ? On se demande pourquoi ils les ont mis à côtés. Ils sont tellement... différents. Celui-ci tombe presque en ruine. Peinture datant des années 30, graffitis, haies non soignés… C’est là que vit la famille Armany. Dernier étage. Pas de jardin, un trois-pièce qu’ils essaient d’aménager le mieux possible pour qu’on ne voit pas trop la pauvreté qui suinte pourtant de chaque mètre carré. Tristan a deux ans. C’est le premier… et le dernier enfant des parents Armany. Ces deux âmes sœurs qui se sont aimés dès leurs 14 ans, qui ne rêvaient que d’une famille nombreuse et heureuse. Et au bout du premier enfant, Mme Armany s’était révélé infertile. Incapable de procréer à nouveau. Ils étaient atterrés. Que faire ? Certes, ils étaient pauvres, mais pas au point de se priver d’autres enfants. Certes, ils avaient déjà Tristan, ce qui était déjà presque un miracle en soi, mais ils en voulaient au moins un autre. Alors ils décidèrent d’adopter. Envers et contre tout.
Hôpital Aeka, Asie. 24 Décembre.
- Mademoiselle, vous ne pouvez pas entrer. Vous devez patientez dans la salle d’attendre votre tour, comme tout le monde. S’il vous plait, retournez à votre place.
Comme d’habitude le jour de Noel, les urgences était noires de monde. Des infirmières ou des patients avaient accroché des guirlandes et un sapin factice pour tenter vainement de réchauffer l’atmosphère lugubre de l’hôpital. A la réception, les cris se faisaient de plus en plus forts. Le ton montait.
- Mais putain, faut vraiment que j’entre ! Vo…
- Ecoutez mademoiselle…
- Non ! Ecoutez, vous ! Mais bordel, vous voulez vraiment que j’accouche en plein milieu de votre foutu hôpital ?! Là maintenant tout de suite, en plein milieu du couloir ?!
La réceptionniste paniquée regarde á droite et à gauche, comme pour implorer une aide qui ne venait pas.
- Bon… restez là deux minutes, je vais voir ce que je peux faire.
Sitôt la réceptionniste partie, la jeune fille – pas plus de 19 ans – se pliait en deux en hurlant de douleur. On pouvait distinctement entendre les injures qui ponctuaient chacun de ses cris. Comme par enchantement apparus à ce moment-là un médecin accompagné de la réceptionniste rouge pivoine.
Famille Armany, Espagne. Même moment.
Le sapin était décoré. Pauvrement, mais avec cœur.
- Petit Papa Noel, Quand tu descendras du ciel…
- Les cadeaux, les cadeaux ! s’écria Tristan dès la fin de la chanson en se précipitant vers les quelques jolies paquets qui s’entassaient là. Il ouvrit tous ceux qui portait son nom – c'est-à-dire presque tous – avec la joie et l’insouciance d’un enfant. Une fois tous ses cadeaux déballés, il se retourna vers ses parents :
- Mais… vous aviez pas dit que j’aurais une petite sœur ou un petit frère en cadeau de Noel ?
Les parents sourirent, attendris, lui expliquant que le père noel n’avait pas encore trouvé la petite fille idéale.
Hôpital Aeka, des heures plus tard.
- C’est une fille, mademoiselle. Elle est adorable.
La jeune fille était exténuée. Pourtant tout c’était bien passé. Le nouveau-né était en forme. Elle n’avait aucun problème. Et le plus dur lui restait à faire. Elle était déjà prête. Pas le choix.
- Ecoutez… madame ?
L’infirmière se pencha sur elle en souriant.
- Michaela… Elle s’appelle Michaela, d’accord ? Vous retenez bien, n’est ce pas ?
- Mais vous allez retenir vous-même mademoiselle.
Une heure plus tard, la jeune femme n’était plus là. Et l’hôpital se retrouva avec un bébé sur les bras.
Famille Armany, Espagne.
- Chérie… ils ont un enfant ! Ils ont une petite fille pour nous…
Mme Armany tomba dans les bras de son mari. Tristan s’approche d’eux tout content.
- Ça veut dire que ma petite sœur va bientôt être livrée ? On va l’avoir dans la boite aux lettres ?
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Tristan avait seize ans. Micha en avait neuf. Leur famille s’était encore rapprochée. Mais ils avaient de plus en plus de mal à s’en sortir. Comment faire avec un garçon qui mangeait comme trois ? Avec une fille en pleine croissance et ne pouvant pas tenir en place ?
Ils avaient eu de la chance, pour Micha : dans la banlieue, une femme donnait des cours de danse. Pour presque rien, alors ils avaient sauté sur l’occasion.
Pour le reste… ils étaient vraiment restreints. Eh oui, tout le monde n’est pas riche comme Crésus sur terre…
C’était chez eux. Ils jouaient, tous ensemble. C’était dimanche, ils étaient tout les quatre assis par terre en rond autour de la Bonne Paye. L’humeur était au beau fixe. Ça riait, ça se bagarrait amicalement. Et soudain, alors que Micha attrapait un des billets de 500… elle resta comme ça, les yeux fixés sur le billet. Tout autour d’elle, les autres continuaient de jouer tranquillement. Tristan ne tarda pas a remarquer son immobilité en lui flanquant une bourrade dans les côtes. Jusqu’au moment où tous les yeux étaient fixés sur le billet.
- Micha chérie… demanda la voix tremblotante de sa mère adoptive. Où… où as-tu pris ce billet ?
Elle désigna simplement la boite où se tenait la banque du jeu. Elle ne comprenait pas vraiment ce qui venait de se passer. Pour elle, le plus impressionnant était simplement que le truc qu’elle tenait en main avait changé de consistance, de couleur et de forme. Sans comprendre, ils mirent simplement le précieux billet de côté. Mais au prochain billet que Micha toucha et qui se changea à nouveau… tout le monde la regarda bizarrement.
- Micha ? Tu peux… prendre ce billet, s’il te plait ? demanda d’une voix douce Mr. Armany en lui tendant un billet de 1000.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Aussitôt changé. Le faux billet… en était devenu un vrai. L’appartement fut immédiatement en effervescence. Que se passait-il ? Les parents se regardèrent, n’osant pas trop y croire…
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Il fallut bientôt se rendre à l’évidence. Micha était capable de changer les faux en vrai. Mais ça ne marchait pas tout le temps. Au début, surtout une fois sur deux. Quand elle se concentrait. Il fallait qu’elle fasse gaffe à ce qu’elle touchait. Sinon, par inadvertance, il risquait d’arriver des choses bien plus embêtantes que des billets de Monopoly changer en vrai billets. Surtout si les gens commençaient à s’en rendre compte.
En tout cas, la vie des Armany changea. Une fois qu’il fut prouvé de maintes et maintes fois que non, ils ne rêvaient pas, qu’ils n’y avait ni truc ni astuce, ils décidèrent de profiter de ce « don de la nature », comme ils l’appelaient. De profiter de Micha. Bien sûr, ce n’était pas méchant. Et ils savaient l’utiliser à bon escient. Néanmoins, c’est ainsi que Micha le percevait. Même son frère s’y était mis. Au début, cela l’amusait plus qu’autre chose. Mais à long terme… plusieurs années passant… ça l’énervait plus qu’autre chose.
La famille Armany n’avait plus de problème d’argent. C’était prévisible, en même temps. Ils n’ont pas déménagé, mais leur train-train quotidien avait bien changé. L’intérieur de l’appart’ était bien mieux décoré. Mais leur famille avait commencé à se dissoudre. Petit à petit. Chacun devenait obsédé par l’argent. Ils demandaient toujours plus à Micha. Qui regrettait de plus en plus l’époque où ils étaient certes pauvre, mais où ils étaient une famille soudée et indissociable. Bien sûr, Tristan et elle continuait de bien s’entendre. Mais qu’il lui demande souvent de changer ses petits billets de Monopoly la peinait plus qu’autre chose.
Elle put commencer à faire de l’équitation. Après tout, si déjà avoir de l’argent à « profusion », autant en profité ? Voilà une des rares choses pour quoi elle ne regrette pas ce Don. Cette passion, en plus de la danse qu’elle pratiquait de plus en plus à tenir le coup. On aurait cru que ça aurait plus facile n’est ce pas ? Eh bien pas vraiment. Alors elle se donna à fond dans ses deux passions. La danse et l’équitation, elle ne vivait que pour ça. Elle s’améliora donc beaucoup… Un jour pourtant, tout dérapa une nouvelle fois. La mère de Micha avait été trop bavarde. Bien trop bavarde. La jeune fille ne comprit pas lorsque tout d’un coup, plein de gens se sont ramenés dans leur petit appart’. Tout le monde voulait voir « la fille qui changeait les billets en vrai ». Comme si elle n’était que ça. Que rien d’autre qu’une machine à sous. Son Don ne s’arrêtait pas aux billets, en plus. Mais le reste était moins important. Comme si changer un cheval Playmobil en licorne Playmobil pouvait intéresser, hein. Enfin bref. A ce moment, Micha n’en put plus. C’était la goutte qui fait déborder le vase, comme on dit.
Elle en parla à Tristan. Il n’était pas très enthousiaste au début, mais il dut avouer que la situation était devenue intenable. Il l’aida à s’enfuir. Où ? C’était bien simple. Micha ne partait pas sans avoir pris quelques renseignements avant. Quand on écoute, on trouve souvent bien des choses. Micha avait cette fois trouvé un nom : Pandora. Un lieu pour les fous, comme tout le monde dit. Mais folle, Micha l’était un minimum, n’est ce pas ? En tout cas, le truc qu’elle savait faire en plus que les autres gens « normaux » l’était. Donc, c’était un endroit pour elle. Restait le moyen d’y aller. Pas difficile, quand on possédait le pouvoir de transformer les petits trucs faux en vrai. Alors elle abandonna sa famille. Elle leur avait malgré tout laissé une petite somme de côté. Au cas où. Ainsi, elle ne s’en voudrait pas trop de les abandonner alors qu’ils plaçaient autant d’espoir en elle. Enfin, en son « pouvoir ». Au moins, ils seraient obligés de se remettre à travailler sérieusement.
Alors elle prépara ses affaires. Et s’en alla comme une voleuse. Fuyant ses parents. Fuyant la cupidité. L’avidité. Les profiteurs. Et son frère adoré.